Aline&Out : Transjournal, 08/08/2018,À travers les flammes

J’ai l’impression d’être cassée. Comme un pantin qu’on aurait jeté dans un escalier, qui gît, désarticulé, au pied des marches. Il y a un truc qui ne va plus chez moi. Ça doit être la saison qui fait ça. Je n’ai jamais beaucoup aimé l’été. Trop de chaleur, on doit porter moins de vêtements, du coup on voit mieux mes formes, et mes complexes remontent. Et qui plus est, je supporte très mal la chaleur à proprement parler. Je suffoque depuis un mois. Je n’ai pas de vêtements féminins d’été, donc je sors moins. C’est très frustrant. Et quand je sors, comme il fait beau, il y a souvent des gens dans la cour où j’habite, donc ça devient une mission d’infiltration pour que personne ne me voie.

Mais le problème principal est ailleurs. Ce n’est pas ça qui me donne l’impression d’être cassée. J’ai un problème émotionnel. Je n’arrive plus à être juste heureuse. Même quand je vis de belles choses. À chaque fois que la joie monte en moi, vous savez, la vraie joie celle qui vous serre le ventre et vous fait sourire de manière incontrôlable, à chaque fois, j’ai une vague de tristesse et de mélancolie qui me submerge. C’est comme si mon cerveau refusait que j’aille bien et me forçait à penser à toutes les conditions de ce bonheur, au prix à payer à chaque fois.

Par exemple, je me sens heureuse quand je sors avec mes ami.e.s en fille. C’est une chose assez simple. Et quand je commence à me sentir bien, je me souviens de la complexité de sortir de chez moi comme ça, de mes complexes physiques, de ma voix que les personnes extérieures peuvent entendre, des risques que je cours en marchant dans la rue, du rasage qui m’a ravagé la peau du visage et dont je prendrais plusieurs jours à me remettre. Je vois l’aisance qu’ont mes ami.e.s à me voir comme une femme, et je pense à la difficulté qu’a ma famille.

Plus le temps passe, et plus tout ça m’épuise. J’ai pensé à tout arrêter. Détransitionner. Rester Lui. Mais je sais que ce n’est pas une solution. Je sais que si je fais ça, c’est la mort assurée. Je ne peux pas déconstruire tout ce sur quoi je travaille depuis plus d’un an et demi maintenant. Je veux aller de l’avant. Je suis une femme de demain. Je dois continuer d’avancer. J’ai un incendie devant moi, mais je marcherai à travers les flammes. Elles ne me tueront pas. Elle me renforceront. Elles feront partie de moi. Elle seront le feu qui m’animera, me donnera de la combativité. Je dois vaincre les obstacles, pas abandonner. Le feu devrait me tuer. Le feu me tuera peut-être. Mais je suis une guerrière. Je suis courageuse, valeureuse, et déterminée. Si le feu doit me tuer, il me tuera, mais je ne m’arrêterai pas.

Pendant ma dépression, je me targuais d’être une « dépressive optimiste », et je répétais souvent cette phrase : « Je vais mal, mais je vais aller mieux. » C’était un moyen de me rassurer. Je n’y croyais qu’à moitié, parce que j’espérais que les choses s’arrangent d’elles-mêmes. Aujourd’hui, je vais mal. Plus aussi mal, certes. Mais tout n’est pas rose du tout. Mais j’ai enfin compris. Je sais quoi faire. Cette phrase était fausse. Personne ne se battra à ma place. Désormais, je dirai « Je vais mal, et je donnerai tout pour que ça aille mieux. »

Je suis une grande fille. Il est temps que je me prenne en main, et que je marche à travers les flammes.

À nous deux Incendie de la Peur.

Tu ne me fais plus peur.

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