Aline&Out : Transjournal, 15/08/2018, Harcèlement

Les réseaux sociaux sont un outil merveilleux. Sans eux, je n’aurais pas pu progressé autant que je l’ai fait depuis mon coming out. Ils m’ont permis de vivre sous mon identité à une époque où je n’osais pas sortir sous l’apparence d’une femme. J’ai aussi pu énormément me renseigner sur la transidentité, rencontrer des tas de personnes comme moi, et même donner une audience à ce blog.

Mais les réseaux sociaux ont aussi une face sombre. Je suis sur Twitter depuis environ huit mois. Twitter m’a donné beaucoup de clefs sur le militantisme, et m’a permis de mieux me situer dans les différents courants. Malheureusement, jouissant d’une certaine visibilité maintenant, je suis devenue une cible pour certains groupes. Des gens qui estiment que les personnes comme moi ne méritent pas le bonheur/la paix/de vivre, ou tout à la fois. Des gens qui n’ont que de la haine à déverser sur celles et ceux qui remettent en cause leurs privilèges.

Je viens de subir ma seconde vague de harcèlement. La première fois, c’était en mai dernier. Un de mes tweets mentionnant ma dysphorie avait percé, et j’ai passé 24 heures à repousser les vagues de haine et d’insultes, les comparaisons immondes, et les menaces de viol et de mort. Lundi, j’ai posté quelques photos de moi sous un hashtag pour la visibilité des personnes LGBT+. Même schéma, le tweet a eu du succès, il a attiré l’attention des gens mal intentionnés qui sillonnaient les publications à la recherche de cibles, et hier matin, je me suis retrouvée avec une vingtaine de comptes à plusieurs milliers d’abonnés qui m’affichaient avec des commentaires toujours plus fleuris.

J’ai pris des mesures, et les choses semblent être retombées. Mais justement, là est le problème. Pourquoi je devrais avoir à prendre des mesures ? Pourquoi ne puis-je pas simplement montrer mon visage, parler de ma transidentité, sans recevoir des messages qui me font énormément de mal ? L’excuse du « Je donne juste mon avis » est employée à tors et à travers, mais elle ne tient pas. Quand c’est 200 personnes qui « donnent juste leur avis » en me disant que je ressemble à Shrek, ce n’est plus juste un « avis ». C’est du harcèlement de masse.

On vit dans une culture où on croit que notre parole est indispensable, peu importe le sujet. Mais c’est faux. Je n’ai pas besoin de savoir que 200 fans de foot me trouvent dégueulasse. Oui, si je poste des photos de moi, j’ai envie de recevoir des compliments, et pas des insultes et des menaces. C’est si mal que ça ? Et d’ailleurs, c’est cette culture toxique qui amène les non-concernés à donner des avis non-renseignés sur des sujets qui ne les regardent pas. Je m’en fiche qu’une personne cis ait dit un truc transphobe sans l’intention de faire de la transphobie. C’est quand même transphobe. Ce ne sont pas les hétéros qui définissent ce qui est homophobe. Et ce ne sont pas les blancs qui déterminent si tel comportement est raciste ou pas.Il est temps de se rentrer dans la tête que nos avis ne sont pas indispensables, et que souvent, ils ne sont même pas pertinents.

Et puis le contexte est important aussi. Si vous voyez qu’une personne prend des tonnes d’insultes, est-ce vraiment utile d’en rajouter une à la pile ? Je sais que ce n’est pas fait innocemment. Assumez votre malveillance, vous qui faites ce genre de choses. Il en va de même pour la question « Tu es un garçon ou une fille ? » C’est une question assez anodine comme ça. Et pourtant, quand vos photos sont affichées par des transphobes, et que quelqu’un qui se moque avec eux vient vous demander « Je veux pas être méchante, c’est juste une question, mais t’es un garçon ou une fille ? », clairement, il n’y a pas d’innocence. D’ailleurs, quand j’ai dit à cette femme que ça ne la regardait pas, elle s’est emportée et m’a insultée.

Bref, tout ça pour dire quoi ? D’une part, j’avais envie de mettre tout ça en mots depuis la première vague en mai, parce que ça m’avait fait beaucoup de mal. Et aussi pour montrer ce qu’il se passe de l’autre côté. Du côté de la victime de ce harcèlement. Hier, j’ai passé ma journée à pleurer. J’étais triste et en colère. Je voulais attraper chacune de ces personnes et les frapper le plus fort possible. J’ai passé des heures à bloquer de nombreuses personnes. Et à la fin de la journée, j’étais épuisée. Et ça n’a pas duré si longtemps que ça. Je vous laisse imaginer ce que vivent les personnes qui subissent le harcèlement pendant des semaines, des mois voire des années dans certains cas. C’est le principe de la micro-agression. Un seul message, c’est gérable. Mais quand c’est 50 en une heure, avec que de la haine, ça n’est plus gérable du tout.

J’espère grandement ne plus avoir à subir ça. Mais entre mon espoir entre un peu en conflit avec mon manque de crédulité malheureusement.

Aline&Out : Transjournal, 08/08/2018,À travers les flammes

J’ai l’impression d’être cassée. Comme un pantin qu’on aurait jeté dans un escalier, qui gît, désarticulé, au pied des marches. Il y a un truc qui ne va plus chez moi. Ça doit être la saison qui fait ça. Je n’ai jamais beaucoup aimé l’été. Trop de chaleur, on doit porter moins de vêtements, du coup on voit mieux mes formes, et mes complexes remontent. Et qui plus est, je supporte très mal la chaleur à proprement parler. Je suffoque depuis un mois. Je n’ai pas de vêtements féminins d’été, donc je sors moins. C’est très frustrant. Et quand je sors, comme il fait beau, il y a souvent des gens dans la cour où j’habite, donc ça devient une mission d’infiltration pour que personne ne me voie.

Mais le problème principal est ailleurs. Ce n’est pas ça qui me donne l’impression d’être cassée. J’ai un problème émotionnel. Je n’arrive plus à être juste heureuse. Même quand je vis de belles choses. À chaque fois que la joie monte en moi, vous savez, la vraie joie celle qui vous serre le ventre et vous fait sourire de manière incontrôlable, à chaque fois, j’ai une vague de tristesse et de mélancolie qui me submerge. C’est comme si mon cerveau refusait que j’aille bien et me forçait à penser à toutes les conditions de ce bonheur, au prix à payer à chaque fois.

Par exemple, je me sens heureuse quand je sors avec mes ami.e.s en fille. C’est une chose assez simple. Et quand je commence à me sentir bien, je me souviens de la complexité de sortir de chez moi comme ça, de mes complexes physiques, de ma voix que les personnes extérieures peuvent entendre, des risques que je cours en marchant dans la rue, du rasage qui m’a ravagé la peau du visage et dont je prendrais plusieurs jours à me remettre. Je vois l’aisance qu’ont mes ami.e.s à me voir comme une femme, et je pense à la difficulté qu’a ma famille.

Plus le temps passe, et plus tout ça m’épuise. J’ai pensé à tout arrêter. Détransitionner. Rester Lui. Mais je sais que ce n’est pas une solution. Je sais que si je fais ça, c’est la mort assurée. Je ne peux pas déconstruire tout ce sur quoi je travaille depuis plus d’un an et demi maintenant. Je veux aller de l’avant. Je suis une femme de demain. Je dois continuer d’avancer. J’ai un incendie devant moi, mais je marcherai à travers les flammes. Elles ne me tueront pas. Elle me renforceront. Elles feront partie de moi. Elle seront le feu qui m’animera, me donnera de la combativité. Je dois vaincre les obstacles, pas abandonner. Le feu devrait me tuer. Le feu me tuera peut-être. Mais je suis une guerrière. Je suis courageuse, valeureuse, et déterminée. Si le feu doit me tuer, il me tuera, mais je ne m’arrêterai pas.

Pendant ma dépression, je me targuais d’être une « dépressive optimiste », et je répétais souvent cette phrase : « Je vais mal, mais je vais aller mieux. » C’était un moyen de me rassurer. Je n’y croyais qu’à moitié, parce que j’espérais que les choses s’arrangent d’elles-mêmes. Aujourd’hui, je vais mal. Plus aussi mal, certes. Mais tout n’est pas rose du tout. Mais j’ai enfin compris. Je sais quoi faire. Cette phrase était fausse. Personne ne se battra à ma place. Désormais, je dirai « Je vais mal, et je donnerai tout pour que ça aille mieux. »

Je suis une grande fille. Il est temps que je me prenne en main, et que je marche à travers les flammes.

À nous deux Incendie de la Peur.

Tu ne me fais plus peur.